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Hommages
rendus aux hommes de l’équipage du canot de sauvetage Paul Tourreil, de
l’Ile d’Yeu.
● Société centrale de sauvetage des naufragés ―
Annales du sauvetage maritime, 1er et 2e trim. 1917, p. 17 et 18.
RAPPORT SUR LES PRINCIPAUX SAUVETAGES ACCOMPLIS DANS
L'ANNÉE par M. le Capitaine
de Vaisseau BABEAU (Chevalier de la légion d’honneur) ADMINISTRATEUR DE LA
SOCIÉTÉ
" MESDAMES, MESSIEURS,
Le sanglant tableau, qui se déroule
aux yeux du monde depuis bientôt trois années, présente aux imaginations de
telles visions d'horreur et de destruction — visions aussi d'héroïsme et de
sacrifice admirables — qu'il ne semble pas que nous puissions nous abstraire
un instant des hantises de ce cataclysme sans précédent.
[...]
Tout d'abord, je veux vous retracer
le plus tragique, le plus douloureux événement qu’aient jamais eu à
enregistrer les annales de notre Société ; il s'est déroulé entre l’île
d’Yeu et Concarneau dans les journées et les nuits des 26, 27 et 28 janvier
de cette année, à l’heure où sévissait sur nos contrées le froid rigoureux
qui a aggravé tant de misères.
Au cours de ces deux affreuses journées, 6 canotiers
sur les 12 que comptait l’équipage du canot " Paul Tourreil ", de l’île
d’Yeu, sont morts de fatigue et de froid. Je suis sûr d'être l’interprète de
cette Assemblée en envoyant l’expression de sa très douloureuse sympathie
aux familles si cruellement frappées, en même temps que l’hommage de son
admiration et de ses regrets à la mémoire de ces braves qui se nomment :
PILLET
(Émile), 49 ans ; PILLET (Edmond), 50 ans ; TARAUD, 47 ans ; IZACARD, 44 ans
; PELLETIER, 46 ans et RENAUD, 26 ans (réformé).
Le " Paul Tourreil ", sorti à 1
heure de l'après-midi pour, recueillir des naufragés montant une baleinière
du vapeur norvégien " Ymer " torpillé au large, rejoignit rapidement ces
malheureux et les prit à son bord. La mer était assez grosse et les vents
droit debout contrariaient la marche du canot, qui dut mouiller vers 5
heures du soir à 1 mille dans le nord de l'île, afin d'attendre le
renversement du courant. Pendant qu'il était au mouillage, le vent d’Est
fraîchissait, et à 9 heures le câble rongé par le frottement sur les roches
du fond cassait, au moment où une furieuse tempête de neige et de verglas
s'abattait sur la mer. Nos hommes essayèrent de lutter à l’aviron, mais
bientôt épuisés, ils se décidèrent à hisser les voiles et à tenter de gagner
Belle-Ile. Malheureusement la tempête les obligeait à ramasser leur voilure
et le " Paul Tourreil " devenait le jouet des flots. Trois hommes, dès cette
première nuit, mouraient d'épuisement ; 8 autres devaient succomber
successivement. Belle-Ile manquée, le patron DEVAUD espéra atteindre Groix :
il avait pu rétablir la voilure ; mais il était trop sous-venté et ce ne fut
que le lendemain à midi qu'il put atterrir à l’ouest de Concarneau, dans la
presqu’île de Raguénès, après être resté 48 heures à la barre par une
température de plus de 10° au-dessous de zéro, dans une mer démontée dont
chaque vague glacée balayait l’embarcation et ajoutait aux souffrances des
malheureux canotiers. Il déploya dans ces circonstances une force d'âme
admirable, devant le spectacle de l'agonie de 6 de ses camarades, et de 5
des marins étrangers qu'il avait recueillis.
Bien modeste, en regard de leur mérite, est la
récompense que nous offrons à ces hommes dont vous voudrez retenir les noms
:
DEVAUD,
52 ans ; GIRARD, 54 ans ; TONNEL, 47 ans ; PLESSIS, 40 ans, réformé ; TURBE,
38 ans, blessé de guerre, et GOUILLET, 16 ans. Nous leur décernons les
Médailles d’Or du Vice-Amiral Ernest de JONQUIÈRES, de la Marquise
d’ESTAMPES, de M. Georges COPIN, du Baron Jules CLOQUET, de M. G. D. de
BEAUREGARD, du Baron de JOEST, et les Prix des amiraux ROZE et JACQUINOT,
portés à 4.000 francs par un don généreux de 2.000 francs fait dans ce but
par Mme TOURREIL, donatrice du canot " Paul Tourreil ".
Et ce nous est un
vif regret que les circonstances ne nous aient pas permis de les faire venir
ici à l'honneur, après qu'ils ont été si durement à la peine. "
● Société
centrale de sauvetage des naufragés ― Annales du sauvetage maritime, 1er et
2e trim. 1917, p. 54.
HOMMAGE ET RECONNAISSANCE DE LA
NORVÈGE
"Lorsqu’en février dernier, la nouvelle se répandit dans la presse française
et étrangère que six marins sur les douze qui composaient l’armement du
canot de sauvetage " Paul Tourreil " de la station de l’Ile d'Yeu avaient
perdu la vie en portant secours aux marins norvégiens de l’ " Ymer "
abandonnés en pleine mer, loin des côtes, par la barbarie germanique après
la destruction de leur navire, le peuple norvégien tout entier se sentit ému
dans les plus intimes fibres de son cœur et voulut témoigner sa
reconnaissance aux sauveteurs. Aussitôt le Gouvernement norvégien secondé
par la presse organisa à leur profit une souscription qui en quelques jours
recueillit plus de 200.000 fr. En même temps, le Ministre de Norvège à
Paris, M. le Baron de WEDEL-JARLSBERG adressait au chef du Gouvernement
français la lettre suivante :
Monsieur le Ministre,
Le Gouvernement norvégien a appris
avec une vive émotion, les renseignements que je lui ai communiqués relatifs
à l’héroïque dévouement déployé par le patron et les hommes du canot de
sauvetage de l’Ile d'Yeu pour arracher à la mort l’équipage du bateau
norvégien " Ymer ". Il déplore profondément qu’un si grand nombre de
courageux marins français aient payé de leur vie leur sublime dévouement.
Je suis chargé de me faire
l’interprète de ces sentiments auprès du Gouvernement de la République et de
vous prier, Monsieur le Ministre, de vouloir bien faire parvenir aux
sauveteurs survivants l’expression de la reconnaissance émue du Gouvernement
royal et d’assurer les familles des marins victimes de leur héroïsme, de la
part sincère que le peuple norvégien prend à leur deuil.
En remettant
cette lettre au Président du Conseil, le Ministre de Norvège annonçait que
S. M. le roi de Norvège venait de décerner la médaille de sauvetage en or à
M. DEVAUD, patron, et des médailles de sauvetage en argent à MM. PLESSIS,
GIRARD, TONNEL, GOUILLET et TURBE, canotiers, ainsi qu’à M. MARREC, inscrit
à Concarneau, qui a aidé à l’atterrissage des naufragés et qui, par des
soins dévoués, a sauvé les survivants.
Le 18 juin dernier, M. le Ministre de Norvège
accompagné du Colonel LORANGER, attaché militaire, de M. de BENTZAN,
conseiller d'Ambassade, de M. TARDIF, préfet de la Vendée, de M. PACAUD,
député des Sables d’Olonne, des représentants du Ministre de la Marine et du
sous-secrétaire d'Etat à la Marine Marchande, arrivait à l’Ile d’Yeu, afin
d'aller s’incliner sur les tombes, saluer les familles éprouvées, et
remercier les sauveteurs. Il voulait aussi remettre aux survivants de
l’héroïque odyssée et aux veuves des victimes les gages de reconnaissance du
peuple norvégien, peuple de marins si éprouvé par cette guerre qu’il semble
que les belligérants ne peuvent pas l’être davantage.
A son arrivée dans l’Ile, M.
MICHAUD, maire de Port-Breton, lui souhaitait la bienvenue, le remerciait,
puis le conduisait au cimetière où il déposait sur chacune des tombes des
canotiers, une superbe couronne de métal cravatée des couleurs françaises et
norvégiennes et portant cette inscription :
" La Norvège reconnaissante ".
Avant de
procéder à la remise des médailles et récompenses, M. WEDEL-JARLSBERG dans
un fort beau discours retraçait l’acte d’héroïsme accompli par l’équipage du
canot de sauvetage, disait combien le peuple norvégien avait été ému en
l’apprenant et en quelle estime il tenait le peuple français et
particulièrement sa marine dont les membres n’ont jamais failli au devoir et
à l’honneur. Il remettait ensuite officiellement aux survivants les
Médailles qui leur avaient été décernées au lendemain du naufrage et les
récompenses que la souscription norvégienne a permis de leur attribuer ainsi
qu’aux familles des victimes. Chacun et chacune reçoivent un titre de rente
de 800 francs et un secours immédiat de 500 francs.
II faisait connaître que le
Gouvernement norvégien offrait à titre d’encouragement, 2 Prix annuels de
400 francs destinés à récompenser les 2 personnes de l’Ile d'Yeu ayant
montré le plus de courage et de bonne conduite.
En outre, un monument commémoratif sera élevé au
cimetière. M. le Préfet de la
Vendée, M. PACAUD et M. le Directeur de l'Inscription Maritime répondaient
tour à tour et remerciaient le représentant de la Norvège.
Le Conseil d’administration de
la
Société de sauvetage a vivement regretté de n'avoir pu se faire représenter
à cette cérémonie émouvante au cours de laquelle a été célébrée la vertu de
ses canotiers ; mais il n’a pas tenu à lui de le faire, aucun avis ne lui
ayant été donné de cette cérémonie organisée sous les auspices de M. le
Ministre de Norvège. Avec son Président, il adresse au peuple norvégien
l’expression de sa reconnaissance à laquelle il associe les 117 stations de
la Société dont le matériel et l’organisation facilitent de tels actes
d’héroïsme. "
● Société centrale de
sauvetage des naufragés ― Annales du sauvetage maritime, 1er et 2e trim.
1918, p. 80.
Récompenses accordées par le
Département de la Marine.
Par décision du 18 mars 1918, prise sur l’avis de la
section permanente du Conseil Supérieur de la Marine, le ministre de la
marine a accordé des prix Henri Durand (de Blois) aux sauveteurs ci-après
désignés :
Un prix de 4.000 francs et six prix de 1.000 francs.
― DEVAUD
(Célestin-Philippe-Noël), patron du canot de
sauvetage de l’Ile d’Yeu
............................................................................1.200
francs. ― GIRARD
(Pierre-Auguste), canotier
..................................................... 800 »
― PLESSIS (Oscar-Charles-Olivier),
canotier .........................................800 »
― TONNEL (Jean-Baptiste-Gustave),
canotier ........................................800 »
― TURBE (Emmanuel-Auguste),
canotier.................................................800 »
― GOUILLET (Alexandre-Gabriel),
canotier..............................................800 »
Décédés :
― PELLETIER
(Pierre-Alfred-Léonidas), canotier................................. 800
francs ― PILLET
(Joseph-Emile), canotier
.........................................................800 »
― TARAUD (Jacques-Armand), canotier
................................................800 »
― IZACARD (Adolphe-Alexandre),
canotier ........................................... 800 »
― PILLET (Edmond-Emmanuel-Georges),
canotier ...............................800 »
― RENAUD (Joseph-Ernest-Léon), canotier
...........................................800 »
Ont fait preuve
du plus grand courage en tenant la mer pendant plus de vingt-quatre heures,
avec le canot de sauvetage de l’Ile d’Yeu, par une violente tempête de neige
et de verglas, pour porter secours aux rescapés du vapeur norvégien Ymer
torpillé par un sous-marin allemand dans la baie de Biscaye, et ont vu
mourir à côté d’eux six de leurs camarades. "
( Jean-Loup Bretet - Voir :
La tragique odyssée des sauveteurs de l'Ile D'Yeu - 26 janvier 1917
)
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Quelques unes des pièces d'argent 1917 laissées en récompense à
Alexandre Gouillet par décision du 18 mars 1918 du Conseil
Supérieur de la Marine
(Mes remerciements à Charline Pruneau-Turbé
et Laure Duchet pour m'avoir permis de reproduire cette photo -JLB) |
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Les six survivants du canot de sauvetage :
Noé Devaud, Baptiste Tonnel, Alexandre Gouillet, Emmanuel Turbé, Pierre Girard, et
Olivier Plessis ,
un mois après les terribles nuits de froid et de tempêtes des 26, 27 et 28 janvier
1917,
assis au soleil de février, sur la cale de lancement du canot de sauvetage de l'Ile
D'Yeu, à Port Joinville.
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Inauguration
du Monument aux Canotiers de Sauvetage le 05 juillet 1922
Inauguration du monument élevé aux héros du
bateau de sauvetage "Paul Tourreil"
Place de la Norvège le 05 juillet 1922
Le Ministre de Norvège, M. le Baron de
Wedel-Jarlsberg, et les sauveteurs du bateau norvégien l'Ymer, tous
décorés. De gauche à droite : Alexandre Gouillet, Olivier Plessis, Noé
Devaud , M. le Baron de Wedel-Jarlsberg, Pierre Girard, Emmanuel Turbé,
Baptiste Tonnel - Le 05/07/1917 - Ile d'Yeu © Ministère de la culture
(France), Médiathèque de l'architecture et du patrimoine, Diffusion
RMN-GP
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Le Ministre de la Norvège à L'Ile d'Yeu -
Inauguration du Monument aux Canotiers du Sauvetage
(Article de presse)
# Il nous faut évoquer
encore une fois l’héroïque tragédie du 28 janvier 1917, et rappeler avec
quel généreux élan la nation norvégienne multiplia à l’égard de nos
canotiers les témoignages de sa reconnaissance. La journée du 5 juillet
dernier, dans laquelle eut lieu l’inauguration solennelle du monument
commémoratif offert par la Norvège, en fut le digne couronnement.
A 9 heures, le torpilleur d'escadre Enseigne-Roux appareillait
des Sables d’Olonne, ayant à son bord le Ministre de Norvège, Baron de
WEDEL JARLSBERG ; le Sous-Secrétaire d’État de la Marine
Marchande, M. RIO ; MM. GIRAULT, Directeur
des services du Travail et de l’Enseignement maritimes ; BAFFREY,
préfet de la Vendée ; GOLA, Sous-Préfet des Sables ; MORAND,
Sénateur ; BAZIN, député ; HUET, Ingénieur
en Chef des Ponts-et-Chaussées ; GRANJON DE LEPINEY,
Administrateur-Délégué de la Société
Centrale de sauvetage des Naufragés ;
CommandantSCOTT-HANSEN, le vaillant compagnon de NANSEN au
Pôle Nord, attaché naval de Norvège à Londres et à Paris ; les Consuls de
Norvège à Nantes et à La Rochelle ; et de nombreuses personnalités de la
région.
Le premier acte du Ministre de Norvège, dès son arrivée
à l’Ile d’Yeu, fut de se rendre au cimetière, et de déposer une palme d'or,
nouée aux couleurs de France, sur chacune des tombes des sauveteurs victimes
de leur dévouement. Toutes les maisons de l’île, tous les bateaux de la rade
étaient pavoisés et la population entière faisait cortège au Ministre qui,
après ce pieux pèlerinage, revint sur la place qui porte désormais le nom de "
Place de Norvège ", où
s’érige le monument dû au ciseau du grand sculpteur norvégien Stephan
Sinding.
Cette œuvre d’art noble et expressive, en
forme de haute pyramide tronquée, porte sur le devant un haut-relief
allégorique, qui figure la France recueillant un naufragé ; sur la face
opposée l'inscription :
" Aux Marins français, la Norvège reconnaissante " ;
sur les côtés, les noms des hommes qui armaient le canot de sauvetage dans
la sortie du 26-28 janvier 1917.
Lorsque le cortège eut pris
place sur l’estrade dressée à cet effet, le Baron de WEDEL
JARLSBERG prit le premier la parole dans les termes suivants :
" MONSIEUR LE MINISTRE,
MESDAMES ET MESSIEURS,
En juin 1917, quand je suis venu apporter aux marins de l’Ile d’Yeu,
l’expression émue de la reconnaissance de mon pays pour les admirables
sauveteurs de l’équipage du vapeur norvégien Ymer, j'ai demandé à Monsieur
le Maire la permission d’ériger un monument destiné à perpétuer la souvenir
de l'héroïsme des pêcheurs de votre île.
Je suis heureux qu’il m'ait été donné la grande joie de me retrouver au
milieu de vous et de pouvoir, au nom de la Norvège, vous offrir ce
monument.
Je suis profondément reconnaissant au Gouvernement de la République
d’avoir bien voulu s’associer à l’hommage que mon pays rend à la gloire des
marins français, et je prie son éminent représentant, Monsieur le Ministre
de la Marine Marchande, d’en accepter l’expression. Je remercie également
Monsieur le Préfet de la Vendée et les autorités civiles et militaires
présentes à cette cérémonie, ainsi que le Représentant de la Société
Centrale de Sauvetage des Naufragés.
Je me félicite d’avoir à mes, côtés les survivants de l’acte sublime que
nous exaltons aujourd’hui. Avec son grand talent, notre célèbre sculpteur Stephan
SINDING a
su traduire le symbole de leur admirable dévouement, qui peut être donné en
exemple du plus noble esprit de sacrifice. Il nous montre la France toujours
éprise d’idéalisme volant au secours de malheureux en détresse au prix même
de la vie de ses enfants. Cette stèle n’est pas seulement un hommage de mon
pays au vôtre ; elle sera en outre pour les générations futures un
témoignage permanent de l'abnégation surhumaine dont vos marins firent
preuve, et il conservera les noms des héros de cette épopée de la mer.
Laissez-moi rappeler comment avec un équipage de fortune vous n’avez pas
hésité à prendre la mer ; comment vous avez réussi à accoster la baleinière
en détresse et faire trans-porter les Norvégiens qui s’y trouvaient au canot
de sauvetage ; comment l’ancre s’est brisée et vous avez été, au milieu de
la tempête et une mer terrible qui noyait le canot sous les lames, forcés
d’amener la voilure et gagner le large ; et le martyre de cette longue nuit
où, baignant jusqu’à la ceinture dans une eau glaciale, vous avez lutté avec
les éléments pendant que six canotiers et cinq norvégiens succombaient à vos
côtés ; enfin comment vos efforts surhumains ont été couronnés de succès et
vous avez pu atterrir à l’Ile de Raguénès.
Dans les luttes effroyables de la grande guerre, les Français ont montré
au monde jusqu’à quel point précédemment inconnu peut aller le courage
humain. Vous, chers marins de l’Ile d’Yeu, vous avez montré jusqu’où peuvent
aller le courage et le dévouement humain dans la lutte avec les éléments.
Votre sauvetage de l’équipage de l’Ymer,
dans la terrible nuit du 27 au 28 janvier 1917, peut être comparé aux plus
sublimes actions de la guerre. Vous avez fait le sacrifice le plus précieux
de vous-même, de votre vie, pour sauver vos prochains. Vous avez ainsi
inscrit vos noms sur le livre de la gloire Française et vous avez mérité
d’être cités à l'ordre du jour de l’humanité. "
M.
MICHAUD, maire de l’Ile d'Yeu, exprima la gratitude de ses
concitoyens à l’égard de la Norvège, et pria le Ministre d’agréer le titre
de citoyen de l’Ile d'Yeu qui lui a été décerné par le Conseil Municipal.
D’autres discours furent prononcés par M. le
Sénateur MORAND, par M. le député BAZIRE.
Puis, M. GRANJON DE LÉPINEY parla au nom de la Société
Centrale de Sauvetage :
" MONSIEUR LE MINISTRE DE NORVÈGE,
Je suis l’interprète de M. le
Vice-Amiral TOUCHARD,
Président de la Société
Centrale de Sauvetage des Naufragés en
vous disant qu’il est profondément touché du geste qui vous ramène pour la
seconde fois sur les tombes de nos canotiers de l’Ile d’Yeu.
Le drame du 28 janvier 1917 est le plus tragique qu’aient eu à
enregistrer les annales de notre Société. Les jeunes, les valides étaient à
la guerre. Pour manœuvrer les avirons du canot de sauvetage, il ne restait
au pays que des hommes d’une vigueur et d’une résistance diminuées. Une
tempête d’une violence inouïe, qui souffla de terre pendant trois jours, et
qui maintint constamment le thermomètre à plusieurs degrés au-dessous de 0,
eut raison de leur courage ; et six d’entre eux succombèrent d’épuisement et
de froid.
Lorsqu’après avoir atterri à l’îlot de Raguénès, où furent débarqués les
corps des victimes, le Paul
Tourreil vint
dans le port de Concarneau, je l’y trouvai entouré d’une couche de glace ;
les routes de Bretagne étaient recouvertes d’un verglas qui les rendait
impraticables aux voitures, si bien qu’on y circulait difficilement, même à
pied.
Dans l’affreux déchaînement de la guerre mondiale qui accumulait les
hécatombes humaines, la mort de six marins pouvait être peu remarquée. Il
n’en fut rien. Les circonstances du drame, qui avait son origine dans la
sauvage guerre sous-marine allemande, suscitèrent en Norvège un puissant
élan d’indignation et de pitié ; et quelques mois plus tard, vous veniez en
personne, Monsieur le Ministre, bravant les champs de mines et les
sous-marins, porter aux veuves des victimes et aux sauveteurs survivants les
amples gages de la reconnaissance de votre pays.
Par la cérémonie solennelle de ce jour, à laquelle M. le Sous-Secrétaire
d’État de la Marine Marchande nous fait \par sa présence le grand honneur
d’associer le Gouvernement français, vous couronnez votre œuvre. Le monument
que vous remettez à l’Ile d’Yeu demeurera, pour porter témoignage aux
générations futures, en même temps que de l’atroce barbarie de la guerre
sous-marine, de la généreuse fraternité du noble peuple norvégien. Qu’à
travers la vaste mer qui, loin de nous séparer, nous unit, aillent au roi de
Norvège et à la nation norvégienne nos remerciements émus et l'expression de
notre vive et constante amitié. "
Enfin, M. le
Sous-Secrétaire d’État RIO dit toute son admiration pour
les marins dont il a partagé la vie pendant vingt-deux ans ; il exalte leur
dévouement et leur esprit de sacrifice. "
Aussi, quand nous entendons le flot monter sur nos grèves, nous ne pouvons
nous empêcher d'envoyer notre douloureux souvenir aux héros que la mer a
gardés ".
Un
banquet, où d’autres discours furent prononcés, clôtura cette émouvante
cérémonie. Puis, le Ministre de Norvège, accompagné par les chaudes
acclamations de la population de l’Ile, prit place à bord du canot de
sauvetage, toujours commandé par le patron Noé DEVAUD, qui
le ramena à bord de l’Enseigne-Roux. A 17 heures l’Enseigne-Roux mouillait
de nouveau en rade des Sables d’Olonne. #
( Jean-Loup Bretet - Voir :
La tragique odyssée des sauveteurs de l'Ile D'Yeu - 26 janvier 1917
)
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