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L’heureuse odyssée de
la
"Reine des Clippers" : 25-27
novembre 1897 ( D'après le Bulletin Paroissial :
"La
Croix de l'Ile d'Yeu" de décembre 1897)
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Article dans la Croix du 28/11/1897

Article dans le Bulletin Paroissial
La Croix de l'Ile d'Yeu du
15/12/1897 |

Bateaux de pêche
rentrant au port
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La "Reine des Clippers" au
secours d'une barque de pêcheurs aux Chiens Perrins.
Le 25 novembre 1897,
deux jeunes pêcheurs de l’Ile d’Yeu, Bénéteau
et Noury, partent dans leur petit canot, du petit port des Broches pour
lever leurs filets à deux milles environ de la côte au Nord Ouest derrière
les Chiens Perrins. En cours de route, le vent se lève et vire
rapidement en une véritable tempête avec une mer qui se creuse en quelques minutes. Le
canot balloté comme un bouchon, se trouve en quelques minutes à demi rempli d’eau
avec l’assaut des vagues,
et se voit très vite en péril et sur le point de sombrer.
La chaloupe la "Reine
des Clippers" qui passe plus au large pour revenir au port et se mettre à l’abri,
avec à son bord, le patron Haslé, et les marins Hippolyte Bernard,
Couthouis, et Charles Bretet, aperçoivent le canot en difficulté. "La Reine
des Clippers" fait immédiatement manoeuvre et se rapproche rapidement pour tenter de
prendre à son bord les deux jeunes pêcheurs en détresse, trempés de pieds en
cap, dans l'eau jusqu'à la ceinture, accrochés aux bords de leur barque.
A l'approche, les coques en
bois des deux embarcations se heurtent l'une à l'autre, balottées par le
clapot, dans une pluie battante et de violentes rafales de vent. Les deux jeunes pêcheurs au
prix de toutes les difficultés et l'aide de leurs sauveteurs parviennent à se hisser
avec grand peine sur la chaloupe, et
voient quelques instants plus tard, leur canot rempli d'eau jusqu'aux bords s’éloigner à la dérive et sombrer en
moins d'une minute.
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Ile d'Yeu
Entrée de Port Breton ( Port Joinville)
un jour de tempête
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Ile d'Yeu
Jour de tempête
au Vieux Château |

Ile d'Yeu
Coup de mer sur le brise-lames
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La tempête
et la dérive vers le large, au nord.
La "Reine des
Clippers" à son tour, alors qu'elle
cherche son trajet vers le port, est reprise par une vague traîtresse qui bouscule tout
l'équipage en fond de cale. A son bord, le
patron Haslé, et les marins tentent de redresser la chaloupe. Ils
parviennent au prix de leurs efforts réunis et de leurs connaissances de ces
parages très dangereux des Chiens Perrins, à stabiliser l’embarcation face aux
creux des déferlantes. Mais ils ne peuvent lutter contre le vent qui
redouble de force et les éloigne rapidement vers le large, malgré les voiles
qui ont été ramenées.
Peut-être que le large, se disent-ils, vaut mieux que d’être drossé contre
les récifs de la côte sauvage, et où ils auraient eu alors tous les risques
d’être écrasés contre les rochers sans jamais pouvoir regagner la terre
ferme, secoués et culbutés qu'ils auraient été dans cette zone de haut-fonds aux roches acérées.
La mer monte en furie et la "Reine
des Clippers" est à son tour le jouet des déferlantes blanches d’écume et
des bourrasques de vent et de pluies cinglantes. Les voiles ont été
affalées, mais une nouvelle vague encore plus puissante que les précédentes fait chavirer la
chaloupe. Elle se redresse et au prix de leur courage, les six hommes
qui ont été jetés à l'eau, parviennent à s’agripper au prix d'efforts
desespérés et à se hisser tous, sans blessure à son bord... Mais quelques instants plus
tard, une seconde vague toute aussi traîtresse que la précédente, renverse
une nouvelle fois la chaloupe. Celle-ci se redresse de nouveau, et les
pêcheurs parviennent cette fois encore à remonter à bord… Une
troisième vague arrive et fait une nouvelle fois se retourner le bateau et
l’équipage, renversés par la troisième fois dans le tumulte des vagues, des
embruns et du vent. Le navire et les hommes s’en sortent cette fois encore, mais
ils ne sont pas
au bout de leur peine...
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La "Reine des Clippers"
devait ressembler à cette chaloupe sortant de Port
Joinville
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L'Ile de Groix, dans une éclaircie.
Secoués de toute
part, roulés par les forces liquides en tous sens, les hommes
doivent s’en remettre au destin par la vue des côtes de l’Ile d’Yeu
qui s’éloignent inexorablement. L'embarcation est poussée par les courants, les vents et les flots, vers
le nord… Les forces de la nature ne faiblissent pas, et les marins
demeurent impuissants à contrôler
le bateau. A la nuit tombante,
les hommes se voient seuls au monde dans la nuit noire, flottant au dessus
d’une mer toute aussi noire,
dans un ciel sans lune et sans étoile.
Le jour du lendemain, la "Reine
des Clippers", livrée à la colère des éléments, résiste toujours à une mer qui n’a pas faiblit.
Le temps semble une éternité. Les hommes
sont transis, assoiffés, affamés. Ils ne sont partis qu'avec deux pains pour
la durée de la pêche,
qu'ils ont partagé et mangé rapidement. Ils
sont trempés jusqu’au cœur par les embruns, sans savoir où ils se trouvent précisément au milieu de cette immensité
liquide.
Au soir, on est
le 26 novembre, la tempête ne s’est pas calmée, et l'horizon est totalement
bouché.
Les marins n'ont pas vu qu'ils étaient passés au large
de Belle-Ile. Lors d'une éclaircie,
alors que la nuit tombe, l'un des marins croît reconnaître au loin l'Ile de
Groix. Le vent reste infernal et l’équipage doit se résoudre à résister une
nouvelle nuit aux souffrances des corps, et aux terribles angoisses.
Ce n’est que le lendemain, le 27 dans l’après midi,
que le temps finit par s’améliorer, et que la chaloupe est enfin reprise en main par
les hommes. Ils parviennent vers 8 heures du soir, à la nuit tombée, à entrer
dans la passe du Blavet et à accoster à un quai de Lorient.
La malchance les poursuit encore.
Ils n’ont rien sur eux que leurs vêtements trempés, raidis par le sel, et
leur râpant la peau, sans autre nourriture, sans argent. Ils doivent aussi tenter de
prévenir leurs familles sans doute pétrifiés d’inquiétudes à l’Ile d’Yeu.
Ils frappent à la porte d’une maison et racontent leur histoire. On ne
les croit pas. Puis à une autre. On ne les
croit pas davantage, où on ne peut ou veut les croire. Une autre encore. En
vain. Leur dénuement et leur misère ont
cogné aux huis d'autres misères.
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L'accueil salvateur à Belle Ile.
Incrédules,
bouleversés, hébétés, ils décident finalement malgré leur épuisement, et
remplis de rage, de repartir, de hisser la voile
de la "Reine
des Clippers" et de gagner Belle Ile, en pleine nuit, où ils pensent pouvoir
être mieux accueillis avec l’espoir d’une vraie solidarité des gens des îles
pour les marins. Ils voguent en tranquilité toute la fin de la nuit et arrivés là,
au petit matin, ils frappent par hasard à la porte de M.
Gallot-Conan, un constructeur de bateau, qui comprend immédiatement la
situation et la détresse des six hommes. Avec empressement, il répond à
tout ce dont ces naufragés ont besoin dans l'instant : de l’eau, du pain, à manger et
des vêtements chauds.
Après avoir pu informer leur famille à l'Ile d'Yeu, et un peu de repos, la "Reine
des Clippers" reprend enfin sa route de retour vers Port Breton (Port
Joinville) où elle arrive le 5 décembre, après avoir été en lutte une
nouvelle fois sur
son trajet avec une autre tempête.
En cours de route, le matelot Hippolyte Bernard, de
La Meule,
tient la barre, mais il a beaucoup de mal à suivre le cap dans la furie des
vents et des courants, ses mains se mettent à gonfler étrangement, pour
devenir douloureuses et comme paralysées.
Bien que remplacé à la barre, à l’arrivée, il
est totalement exténué et souffre tant de ses mains boursouflées par le sel
et l'eau de mer qu'il ne pourra reprendre son travail qu’après huit
jours de repos.
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Le Palais - Belle Ile
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Le Palais - Belle Ile
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Dévotions et prières à Notre Dame de
Bonne Nouvelle à La Meule.
Le jeudi 9 décembre, en épilogue à cette histoire, les
quatre marins de la "Reine
des Clippers", leur armateur et les deux jeunes pêcheurs du petit canot, se
retrouvent ensemble et de nouveau dans le mauvais temps, cette fois à la Chapelle
de La Meule.
Il viennent remercier et témoigner de leur reconnaissance, par les vœux qu’ils lui avaient promis dans la dérive de leur bateau,
la Vierge
protectrice de Notre Dame de Bonne Nouvelle.
Quelques mois plus tard, la "Reine des Clippers" fait encore
parler d'elle sur les quais. Pour une autre aventure cette fois, celle de la
nuit du 1er au 2 avril 1898, où avec son même équipage,
elle se trouve confrontée une nouvelle fois au
destin. Mouillant leurs filets dans le Sud Ouest de l’Ile sur un site
nommé "Le trou aux Pyrlons", la "Reine des Clippers" se voit
éperonnée par le vapeur "Amélie", un navire de commerce de 1600 tonneaux
en provenance d’Anvers et allant livrer à La Pallice. Dans
la collision, l’ancre du
vapeur a brisé le bout-dehors et le mât de misaine de la chaloupe. Il n'y a
pas de victime, ni de trop gros dégâts. Le capitaine de l’ "Amélie" porte
immédiatement secours au bateau de pêche, et le remorque à la demande du
patron Haslé, jusqu’ à
deux milles de Port Breton, avant de reprendre sa route. La "Reine des Clippers" accostera au
port avec cette nouvelle histoire que les marins raconteront ensemble dans
les cafés du port, tout en remerciant encore et encore, entre deux tournées,
la Vierge de la Meule.
Jean-Loup Bretet le 25/10/2015
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Chapelle Notre Dame de Bonne Nouvelle à La Meule |
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