Les défrichements du Moyen Âge et les noms de lieux.
par
Thierry Sabot, rédacteur du site :
histoire-genealogie.com.
L’époque féodale est une période
importante pour la création et la stabilisation de la toponymie. Dans tous
les pays d’Occident, on voit alors apparaître de nombreux noms de lieux
issus des défrichements des XIe, XIIe et XIIIe siècles.
L’essor démographique, le
perfectionnement des techniques agricoles et l’amélioration de l’outillage
avec l’emploi croissant du fer, libèrent de la main-d’œuvre, favorisent
l’essor rural et la colonisation de nouvelles terres dans des zones
jusqu’alors peu habitées et peu utilisées.
Dès le milieu du Xe
siècle, les premiers témoignages de défrichements de terres incultes sont
signalés. Ils se multiplient ensuite après 1050.
À l’initiative des
seigneurs et des moines, sous l’action de la cognée des paysans et des
frères convers, peu à peu les clairières villageoises s’élargissent,
dépassent les lisières des anciens labours et les zones broussailleuses déjà
éclaircies par les écobuages temporaires. Ces nouvelles zones prisent
sur la friche se lisent encore aujourd’hui sur les cartes topographiques au
1/25 000 ème à travers la présence de certains lieux-dits : « Bussière »
(endroit planté de buis), « Buissonnet », « Buisson »,
« Buissonnière », « Buisset », « Buissard »
(mauvais buissons), « Artige », « Artigues »,
« Artigalas » (grande friche), « Artiganave »,
« Artiguenave » (friche nouvelle dans le Sud-Ouest), « Artiguebieille »
(friche vieille dans le Sud-Ouest), « Lartigues », « Novelles »,
« Novel », « Noves »...
Les fonds humides et la haute futaie reculent partout et de nouveaux
terrains agricoles viennent s’ajouter au terroir villageois. Bois et pâtis
sont ainsi refoulés à la périphérie des paroisses, d’abord aménagés en prés
de fauche, puis drainés afin de recueillir des céréales ou de la vigne.
Sur les cartes, un peu partout en France, les toponymes dérivés des essarts
(terres nouvellement défrichées), « Essards », « Essars »,
« Essert », « Lessard », « Leyssard »,
« Issards », « Essartiers », « Esserteaux »,
« Essertennes », « Essertines », « Esserval »,
« Dussard », « Dessart » témoignent de
l’avancée des fronts pionniers ainsi que les noms de lieux suivants : « Friche »,
« Frichet », « Routure », « Bouige »
(terre en friche dans le Massif central), « Bouzige », « Bouygue »,
« Bouzigue », « brûlé » (terrain brûlé et
défriché par le feu), « Brulat », « Usclat »
(terre brûlée par le défrichement), « Usclade », « Erm »
(endroit désert dans le Midi), « Herm », « Lherm »,
« Lhermet », « Delherm », « Lashermes »,
« Riège » et « Détrie » (mauvais terrains
dans le Nord)...
Autour de ces nouveaux espaces
agricoles, les hommes s’organisent et créent de nouveaux bourgs et villages
neufs de clairières aux toponymes facilement identifiables : « Villeneuve »,
« Viellenave », « Villenave », « Lavilleneuve »,
« Villenavotte », « Villeneuvette », « Villenouvelle »,
« Neuville », « Neuveville », « Laneuveville »,
« Neuvillette », « Bordes », « Les
Bordes », « Laborde », ou encore « Sauveterre »
et les « Bastides » et « Sauvetés »
gasconnes...
Généralement, ces villages
s’allongent le long de la laie forestière ou en bordure des terres
cultivables. Les maisons sont alors côte à côte avec, en arrière, de longues
lanières de champs étirés appelées « manses ».
Enfin, à partir du
XIIIe siècle, le défrichement est de moins en moins mené dans le
cadre du village. Il est désormais l’œuvre d’exploitants isolés qui donnent
naissance à une nouvelle forme d’occupation du sol : un habitat intercalaire
où les maisons dispersées, disséminées entre les villages, se multiplient
(cf. les essarts isolés sur les cartes). « Souvent, les défricheurs
finissent par rencontrer aux limites du finage ceux venus des villages
voisins, et la ceinture de terres incultes qui jadis isolait entièrement les
paroisses tend à se réduire à quelques témoins épars sur les sols les plus
ingrats » (Georges Duby, Le Moyen Âge, Paris, PUF, 1956).
Beaucoup de ces établissements portent encore le nom de leur fondateur (ce
qui n’est pas négligeable dans le cadre d’une généalogie) : « L’Arnoudière »
(la maison d’Arnoud), « Chez Bernier », « Les
Rivaux »... Un simple coup d’œil sur les cartes topographiques
permet d’en repérer quelques-uns.
Ces nouvelles parcelles sont
souvent entourées d’une petite clairière ou les terres cultivées sont
délimitées par une ceinture d’arbres ou de buissons pour se protéger des
animaux sauvages. Le Roman de Renard décrit ainsi la ferme d’un riche
paysan : « La maison sise au milieu d’un plaisais (clôture faite de
buissons entrelacés) est richement pourvue de tous les biens de la terre :
vaches et bœufs, brebis, lait et œufs, et toutes sortes de nourriture ; de
poules et de chapons y avait-il à foison. Renard y trouvera de quoi se
satisfaire, si seulement il y peut entrer. Mais, je crois, et même je parie,
qu’il cherchera longtemps. Car tout était entièrement clos, et le jardin, et
la maison, de pieux aigus et gros et longs ; un ruisseau courait tout
autour. Au dedans étaient arbrisseaux de toutes espèces. Vraiment, c’était
une belle demeure » (cité par M.T. Lorrain :
La France au XIII° siècle, Paris, Nathan,
1975).
Ainsi les grands défrichements
du Moyen Âge ont modifié profondément l’aspect et la vie des campagnes. De
nouveaux terroirs, de nouveaux villages sont apparus au détriment des bois
et des friches. La toponymie occidentale s’est enrichie de nouveaux noms de
lieux qui, à leur tour, donneront naissance à de nouveaux noms de famille .
Thierry Sabot
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